Argument
La question des violences entre élèves en milieu scolaire est aujourd’hui une préoccupation centrale des institutions éducatives et des pouvoirs publics. Elle donne lieu à de nombreuses recherches, se diffuse largement dans les médias, et globalement suscite de nombreux discours et débats dans l’univers social. Les présupposés sur lesquels elle repose méritent pourtant un examen détaillé : dans quelles conditions peut-on parler de violence entre élèves ? Existe-t-il vraiment, comme on le dit si souvent, des « décalages » perceptifs, normatifs, interprétatifs entre les élèves et les adultes ?
S’il est tellement important de comprendre ce qui se passe dans les groupes de pairs, c’est pour mettre en évidence les processus de formation mutuelle entre les jeunes eux-mêmes. En effet, les représentants de l’institution, et sa structuration même, ont une influence évidente sur la formation des élèves, mais on doit prendre en compte aussi le fait que les jeunes se socialisent entre eux.
Dans ce colloque, la question sera abordée en lien avec une problématique de genre, centrale à plusieurs niveaux : parce que le devenir homme ou femme est un enjeu essentiel des mutations et de la conflictualité propres à l’adolescence, parce que les normes sexuelles et familiales sont un enjeu essentiel des relations entre générations, parce que le genre et la situation faite aux femmes constitue un enjeu essentiel des différends entre groupes sociaux et culturels. Cette problématique sera envisagée de façon soit directe, soit indirecte.
De façon directe, la problématique de genre signifie qu’on cherchera, dans l’univers mixte des institutions scolaires et éducatives
- comment les violences entre pairs concernent les garçons et les filles (qui est violent ? qui est victime ? les violences se produisent-elles plutôt entre garcons, entre filles, entre garçons et filles ? garçons et filles sont-ils violents de la même façon, pour les mêmes raisons ? etc.)
- comment les violences entre pairs engagent la masculinité ou la féminité en construction de ces adolescent‑e‑s. Existe-t-il une ou des cultures des jeunes en matière de genre et de sexualité (normes sexuelles de comportement, relations amoureuses ou sexuelles, séduction, hétérosexisme, etc.) ? Quels sont les objets culturels qui sont mis à leur disposition et de quelles normes sont-ils porteurs ?
De façon indirecte, on pourra interroger le système sexe-genre comme prototype de toute relation de domination, de hiérarchie et de pouvoir, en tant que modèle de rapports sociaux qui instituent souterrainement, dans les pratiques et dans les représentations, voire les justifications, des rapports de force qui visent certaines catégories désignées comme faibles.
La problématique de genre est aussi engagée dans l’approche institutionnelle du problème. Les violences en milieu scolaire et éducatif se produisent dans un contexte social complexe (incertitude de l’insertion professionnelle des jeunes, diversification des valeurs sexuelles et familiales…) dont les institutions sont des lieux et des acteurs tout à fait fondamentaux, et par lequel elles sont en même temps mises en crise. Or, il est clair que les garçons et les filles ne sont pas concernés exactement de la même manière par cette tension multi-dimensionnelle.
Thématiques
1/ Décrire et définir les violences liées au genre et les décalages qui existent entre les pratiques, cultures et discours des acteurs des institutions : décalages intergénérationnels entre jeunes et adultes, décalages entre les adultes en fonction de leur place dans l’institution.
2/ Comprendre en quoi les institutions scolaires et éducatives et les interactions qui s’y observent participent de la construction des masculinités et des féminités dans un rapport social hiérarchisé, impliquant un positionnement supposé différent des hommes et des femmes face à la violence agie et subie.
3/ Comprendre la place du sexuel dans l’institution scolaire qui l’exclut par principe, et dans les institutions éducatives où il fait toujours problème. Se représenter les questions de la sexualité et de l’amour telles qu’elles se posent pour les jeunes et les adultes de l’institution. En quoi les institutions scolaires et éducatives contribuent-elles à une construction sociale de la sexualité à travers l’incorporation de modèles sexuels et plus précisément l’apprentissage de l’hétérosexualité. Mesurer l’impact des discriminations et des violences sexuelles et liées au genre dans ce processus de socialisation.
4/ Connaître et analyser l’efficacité des dispositifs de prise en charge des relations entre élèves, et des réponses institutionnelles et éducatives aux violences de genre : prévention, sanction, etc.