La violence sexuelle dans une institution caractérisée par les configurations de l'institution totale constitue l'aboutissement paroxystique de ce que Goffman nomme la contamination physique[1]. Comme l'hôpital fabrique et transmet la maladie nosocomiale, telle la prison qui socialise des sujets auteurs de petits délits afin de les livrer, involontairement, au grand banditisme, l'institution médico-sociale participe à l'aliénation, à la maltraitance et à la mortification des sujets qui lui sont confiés. Le placement en Impro, qui contient des adolescents, filles et garçons, fournit le terreau de la violence sexuelle pour au moins quatre raisons majeures :
- les sujets placés traversent l'adolescence, ils sont donc évidemment soumis à la transformation de leur corps et de leur sexualité ;
- les pensionnaires de l'institution médico-sociale possèdent des troubles, des pathologies, des déficiences (à l'origine du placement institutionnel) qui vont perturber la gestion de ces transformations corporelles et sexuelles ;
- La cohabitation entre ces troubles, pathologies, déficiences produit des interférences, des connexions entre ces problématiques individuelles, qui fabriquent inéluctablement un environnement social pathogène, un univers relationnel où les mécanismes défensifs et agressifs s'entrecroisent ;
- les configurations totales de l'institution médico-sociale, qui englobent le sujet dans un traitement collectif, ne proposent pas de prise en charge suffisamment affinées. Un processus de dépersonnalisation tend à uniformiser les gestions éducatives, et à démultiplier les effets de la cohabitation précédemment citée.
Le support de la communication provient d'une thèse de sociologie[2] soutenue à l'université Lumière Lyon 2 en 2011. Cette thèse prend sa source dans une observation ethnographique produite dans un Impro (Institut Médico professionnel). Cette institution spécialisée reçoit une centaine d'adolescents âgés de 12 à 20 ans atteints « de déficience intellectuelle légère sans troubles associés du comportement ».
À partir de ma fonction d'enseignant dans cet établissement au sein duquel j'ai exercé pendant sept ans, j'ai observé et consigné dans un carnet de bord durant une année scolaire un nombre conséquent de situations, de contextes qui s'invitaient dans la réalité quotidienne de l'institution et de tous ses acteurs (usagers, salariés de tout métier). Ce carnet de bord de deux cents pages est le socle sur lequel repose le matériau destiné à produire l'analyse ethnographique de la structure. Au cours de ces analyses, j'ai observé à maintes reprises les violences commises et subies par les pensionnaires de l'institution.
Je me propose de reprendre un événement que j'ai observé au cours de cette observation ethnographique. Il s'agit de l'annonce d'un viol, lors d'une pause en salle de personnel. Ce viol a été commis par un usager sur une jeune fille, pensionnaire de l'institution, tout comme lui. Suite à cet événement (avéré par la suite), la communication se décomposera en deux axes.
Le premier, descriptif, reviendra sur la conversation qui est le théâtre de l'annonce du viol. Il montrera les « réactions à chaud » des membres du personnel par rapport à cette annonce. Ce point correspond au thème 1 : « Décrire et définir les violences liées au genre et les décalages qui existent entre les pratiques, cultures et discours des acteurs des institutions (...) ».
Le second, d'ordre interprétatif, tentera d'expliquer les diverses formes de réaction des membres du personnel présent lors de l'annonce du viol. Ce point cernera la première forme de réponse institutionnelle, de manière informelle. Il montrera comment le personnel reçoit cette information, comment il envisage par la suite la gestion de ce viol, que ce soit pour lui-même ou pour les usagers concernés. Cet autre développement s'inscrit dans le thème 4 : « Connaître et analyser l'efficacité des dispositifs de prise en charge des relations entre élèves, et des réponses institutionnelles et éducatives aux violences de genre : prévention, sanction, etc ».
[1] Goffman Erving, Asiles, études sur la condition sociale des malades mentaux, 1961, Paris, Éditions de Minuit, 1968, p. 66-72.
[2] Christophe Dargère, La violence institutionnelle comme mode d'ajustement de filière : ethnographie et lecture goffmanienne d'une institution médico-sociale, thèse de doctorat, Université Lumière Lyon 2, février 2011, 644 pages.