Nous nous proposons de présenter les résultats d'une recherche anthropologique portant sur les élaborations culturelles telles qu'elles sont mobilisées par les adolescents des milieux populaires pour donner collectivement un sens aux expériences scolaires. La restitution visera en particulier à décrire et interpréter l'usage de la violence physique dans le cadre des « cultures somatiques » (Boltanski, 1971) façonnées et transmises durant le processus de socialisation entre pairs.
Durant deux années scolaires, dans une démarche ethnographique proche de «l'observation flottante » préconisée par Colette Pétonnet, nous nous sommes laissés absorber par le quotidien d'un collège du 14e arrondissement classé « sensible »[1]. La construction de la relation ethnographique avec les élèves nous a conduits à faire l'expérience directe des contacts physiques brutaux et à explorer le sens qu'ils prennent dans l'établissement des liens de sociabilité juvénile et dans le rapport à l'institution scolaire.
La communication se donne deux objectifs principaux :
1. Décrire les manifestations de violence physique que nous avons pu observer parmi les filles, aussi bien entre elles que dans leurs rapports avec les garçons. Nous ferons part des codifications que nous avons dégagées de ces interactions violentes (« répertoires physiques » mobilisés (Le Breton, 1992), régulation des échanges brutaux par le groupe de pairs...) analysées en tant que « techniques du corps » (Mauss, 1950) faisant l'objet d'un véritable processus d'apprentissage par les pairs. Pour les collégiennes enquêtées, se battre, se défendre, prendre l'ascendant dans les espaces de la classe et de la cour sont autant de manières de manifester une esthétique et une économie corporelles qui rompent avec les stéréotypes de genre véhiculés par l'institution scolaire. Nous interrogerons l'incidence de cette valorisation de la force physique parmi les filles sur les rapports de genre et les identités sexuées.
2. Inscrire l'analyse de cette culture somatique genrée dans le cadre des rapports conflictuels que les élèves entretiennent avec l'institution scolaire. Nos observations montrent que le paradigme du choc des cultures couramment mobilisé[2] est insuffisant pour expliquer les décalages normatifs relatifs aux usages de la violence, d'autant plus valorisés parmi les élèves qu'ils sont condamnés par les agents scolaires. Ainsi, nous analyserons le rejet manifesté parmi les collégiennes des classes populaires vis-à-vis des exigences scolaires relatives aux comportements des « jeunes filles » et le détournement des sanctions en rites consacrant des transgressions valorisantes auprès du groupe de pairs.
Bibliographie
Luc Boltanski, « Les usages sociaux du corps », Annales. Économies, sociétés, civilisations, 26(1), 1971, pp. 205-233.
Pierre Bourdieu, La domination masculine, Paris, Seuil, 1998..
David Le Breton, La sociologie du corps, Paris, PUF, 1992.
Marcel Mauss, « Les techniques du corps », Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 1950.
[1] La position d'ethnologue s'est construite à partir d'une insertion au sein d'une classe de 3e comprenant 23 élèves (année 2009-2010), puis d'une classe de 5e composée de 21 élèves (année 2010-2011), à raison d'un accompagnement de 20 heures par semaine. Les échanges réguliers et les activités partagées ont permis d'accéder aux réseaux d'interconnaissances de ces deux groupes d'âge référents et d'élargir ainsi le champ de connaissance du terrain. Les analyses sont principalement le fruit de ces interactions quotidiennes.
[2] Voir par exemple l'ouvrage de David Lepoutre, Coeur de banlieue. Codes, rites et langages, Paris, Odile Jacob, 1997 ou son expression la plus aboutie dans l'ouvrage de Sébastien Peyrat, Boris Ozbolt, La guerre des normes, Enquête au cœur des collèges de cités difficiles. Paris, L'Harmattan, 2007.