Violence between students in the learning environment is currently a central preoccupation of both educational institutions and state authorities. The question of violence between students will be apprehended in this symposium through a gendered lens.
3-4 Oct 2013 Lyon (France)
Violence et vulnérabilité : un paradigme pour l'école
Michel Terestchenko  1  
1 : 'Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence
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Un pas considérable fut accompli dans la compréhension des actions humaines violentes, lorsqu'on put montrer que celles-ci ne tiennent pas toujours, ni même principalement, à l'existence de pulsions agressives, pathologiques ou sadiques mais plutôt, et plus généralement, aux situations dans lesquelles les individus se trouvent placés. Précisons que les individus dont il sera tout d'abord question ici ne sont pas des criminels ou des délinquants de profession, mais des individus tout à fait « ordinaires », dotés d'une économie psychique et d'une conscience morale en rien distinctes de celles de leurs semblables, et qui, leur poserait-on la question, s'estiment incapables, comme vous et moi, de faire souffrir quiconque. Pourtant, nous savons désormais, grâce aux nombreuses expériences de psychologie sociale menées depuis bientôt une cinquantaine d'années (aux états-unis et ailleurs dans le monde) que nous sommes les moins bien placés pour prédire nos conduites à venir, celles-ci se trouvant souvent démenties par nos actions effectives bien au-delà de ce que nous serions prêt à envisager et à admettre.

S'il importe d'insister de façon décisive sur l'importance du facteur « situationnel » ou « environnemental », c'est en vu de dépasser l'alternative liberté versus détermination parler de déterminisme en cette affaire serait trop fort - qui enferme la réflexion dans des contraintes théoriques excessives et qui, surtout, envisage le débat à partir de positions de départ trop tranchées. Car la violence humaine, dans ses multiples expressions plus ou moins graves, est tout à la fois un sujet de recherche académique qui fait annuellement l'objet de milliers de publications savantes de part le monde, et une matière qui donne lieu à des politiques publiques et des législations plus ou moins controversées. Ces dernières alternent trop souvent entre efforts de prévention (que leurs adversaires taxent de « laxisme ») et mesures renforcées de sécurité et de sanction (considérées par leurs opposants comme étant tout à la fois démagogiques et inefficaces), dans un mouvement de balancier qui oscille en fonction de la position idéologique des uns et des autres. Tout se passe comme si l'on était pris nécessairement dans l'étau de fer du « ou bien ou bien » et qu'il faille être soit partisan de la fermeté au nom du principe que les individus sont (sauf exception pathologique et l'exercice de contraintes physiques) libres et responsables de leurs actes, soit plus accommodant et compréhensif en raison des facteurs (psychologiques, sociaux, familiaux, éventuellement génétiques) dont il faut tenir compte pour comprendre les conduites et les comportements individuels. S'il s'agissait seulement de prendre position entre le point de vue attribué aux sciences humaines (quoique celui-ci soit moins univoque et « holistique 1» qu'on ne prétend habituellement) et disons le point de vue « libéral », qui insiste sur la responsabilité individuelle du sujet (posé dans son autonomie irréductible), notre propos n'aurait rien de nouveau à dire. En réalité, plutôt que d'avoir à choisir entre l'une ou l'autre des positions de l'alternative, est-ce cette alternative elle-même qu'il convient tout d'abord de remettre en cause.

Une voie féconde en vu de dépasser l'obligation de faire un choix drastique entre libre arbitre (ou autonomie) et détermination est ouverte par la mise en évidence d'une donnée anthropologique qui apparaît ça et là, mais qui est rarement placée au centre : la vulnérabilité. Pour être plus précis, la vulnérabilité des individus face à des situations personnelles et/ou à des institutions collectives qui engendrent des conduites dites « anti sociales » (antisocial behavior). Après avoir montré en quelle manière nous disposons avec ce paradigme d'une sorte de tierce voie en vu de comprendre la violence dont les hommes sont parfois capables, il nous appartiendra d'explorer ses applications dans le monde de l'école et de dégager quelques principes directeurs de nature à guider les politiques publiques.

Ce n'est pas en ignorant ou en relativisant la fragilité des enfants agressifs dont les causes (à la fois sociales, psychologiques, familiales, etc.) sont fort bien répertoriées par les chercheurs nous rappellerons les conclusions générales de leurs travaux qui font l'objet d'un large consensus - que l'on pourra espérer réduire les phénomènes de violence à l'école. L'expérience prouve qu'on s'en désole ou non, n'y change rien que ce n'est pas en faisant appel seulement au sens de la responsabilité et à la liberté, voire au calcul rationnel, des individus que l'on peut raisonnablement espérer voir baisser les phénomènes de violence, à l'école et ailleurs ; pas plus qu'en les mettant en face des obligations de leur conscience morale ou de leurs devoirs civiques. Ce n'est pas que ces manières de s'y prendre soient dénuées de signification, mais elles sont généralement inefficaces, parce que ni la conscience de la responsabilité de nos propres actions, ni même la conscience des principes moraux que nous savons devoir suivre, pas plus que la considération des intérêts égoïstes bien compris, ne constituent toujours, à eux seuls, des garde-fous suffisants lorsque l'environnement dans lequel nous sommes placés nous pousse puissamment à agir à l'encontre. Qu'il en soit ainsi pour la grande majorité des adultes et, plus encore, des enfants, a des conséquences qui sont sociales et politiques autant que morales, et elles concernent, au premier chef, les organisations collectives non moins que les individus pris à part.

Entre la figure de la victime passive du « système » ou du « milieu » et l'individu indépendant, rationnel et efficient apparaît l'être humain saisi dans sa vulnérabilité à la contingence, aux situations, aux circonstances, parfois aux coups du sort, auquel doivent s'adresser des politiques publiques de prise en charge spécifiques. Ce qui est vrai des malades, des personnes âgées et des handicapés l'est également des enfants, en particulier des enfants défavorisés. Mais ces politiques publiques doivent également s'enraciner dans une disposition éthique, à la fois individuelle et institutionnelle, que nous nommerons la sollicitude ou la compassion. Ainsi ces trois notions de vulnérabilité, de contingence et de compassion sont-elles liées au triple plan anthropologique, ontologique et éthique. Nous montrerons en quelle manière sur cette base peuvent s'édifier des politiques éducatives efficaces en vu d'affronter les phénomènes de violence scolaire.

1Par opposition à une conception strictement individualiste de la société, l'interprétation « holiste » soutient que si ce sont les individus qui, de fait, sont les acteurs des phénomènes sociaux, ceux-ci obéissent, cependant, à des lois qui leur sont propres. La société est un tout (en grec, holos) qui n'est pas réductible à l'ensemble des individus qui la composent. Cette conception a été défendue par les grands auteurs, tel Emile Durkeim, de la tradition sociologique française.


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